Francais · Memoir

Les Droits des Femmes Américaines v. La Fin

Voici la version française de American Women’s Rights v. The End publiée en anglais dans la revue québécoise bilingue The Nelligan Review (https://www.nelligan.review/):

Depuis le 24 juin 2022 aux Etats-Unis, le droit à l’avortement n’est plus protégé par la Constitution fédérale. Deux ans seulement après le revirement de jurisprudence concernant Roe v. Wade, le droit des femmes à l’avortement est dorénavant restreint ou carrément supprimé dans environ la moitié des États. En pratique, cela signifie que, dans la moitié du pays, nous avons moins de deux semaines à partir du moment où nous réalisons que nos règles sont en retard pour décider d’avorter, trouver un prestataire d’avortement, réunir les fonds nécessaires pour un éventuel voyage interétatique, obtenir un rendez-vous, et subir l’intervention. En effet, le compte à rebours légal commence dès le dernier jour de nos dernières règles ! L’avortement est néanmoins toujours accessible dans environ la moitié des États, mais cela peut changer rapidement si Trump est réélu en novembre 2024, alors je prie Dieu pour que Kamala Harris puisse être élue présidente des Etats-Unis en novembre 2024.

Je prie Dieu pour que Kamala Harris gagne. Attendez ! Ai-je bien écrit que je prie Dieu pour que la candidate démocrate à la présidentielle soit élue afin qu’elle préserver et restaure nos droits en matière de sexualité et de procréation ? Oui, car l’anglais est ma langue d’adoption, et donc j’ai dû apprendre cette langue qui met Dieu a toutes les sauces. Les Américains mettent Dieu par ci et par là plus souvent qu’ils ne le pensent. Ils éternuent, et c’est que Dieu vous bénisse ! Ils s’énervent, et c’est oh mon Dieu ! Ils pensent que vous êtes sur la mauvaise voie, et ils vous  demandent, au nom de Dieu, pourquoi donc. Ils sont stupéfaits, et c’est pour l’amour de Dieu. Le Seigneur a également sa place à la table du parler, alors faites attention de ne pas prononcer le nom du Seigneur en vain sous peine que Dieu vous foudroie – bien que, jusqu’à présent, Dieu ait épargné tous les menteurs. Dieu ne se montre pourtant pas rechignant envers les armes à feu. Il n’y a qu’à lire les signes divins qui apparaissent sur les casquettes de baseball : Dieu, Fusils d’Assaut, et Trump. Parfois, on ajoute Liberté, Bière et Barbecue à cette salade de mots. Jésus se tient quand même un peu en retrait. Jésus côtoyant une mitraillette serait une image un peu plus difficile à avaler, peut-être. Vous devriez vous plonger dans le Nouveau Testament. Aime ton prochain comme toi-même. Dieu, ça prend moins de place en majuscules sur un chapeau, et ça donne meilleure conscience que Jésus. À moins que vous ayez plus d’espace pour écrire, comme sur les T-shirts à 19,99 $ d’Amazon. Alors là, Jésus est mon sauveur, et Trump mon président. Oh, Seigneur ! Oh mon Dieu ! Oh, Jésus !

Quand j’étudiais l’anglais en tant que langue étrangère en France dans un lycée de province, Monsieur Regard, mon professeur, avait prévenu notre classe que nous ne pourrions comprendre les Américains si nous ne consacrions pas au moins un peu de temps à la lecture de la Bible et de l’histoire des puritains en Angleterre et dans le Nouveau Monde. Nous étions des adolescents, à l’époque, alors nous affairer à comprendre les paroles des chansons rock – ou disco, dans mon cas – était plus attrayant. De plus, je n’aurais jamais pensé, à seize ans, que je me trouverais en Californie du Sud quatre ans plus tard en tant qu’étudiante étrangère De plus, j’avais lu qu’il y existait la séparation de l’Église et de l’État aux États-Unis. De plus, j’avais lu que les États-Unis étaient une démocratie fondée sur les principes des droits naturels, tout comme en France. Les gens avaient des droits naturels qui existaient avant que Dieu ne se laisse pousser la barbe et avant même qu’il naisse. Il nous restait simplement à définir et défendre ces droits, après cela. Les droits des femmes, les droits des enfants, les droits des animaux. Lève-toi, debout, lève-toi pour tes droits, comme dans la chanson de Bob Marley.

Une fois aux États-Unis, cependant, une dissonance cognitive s’est installée dans ma vie. Je n’ai encore pas su régler la discorde mentale qui résulte des conflits nés des affrontements entre mes observations et mes apprentissages à la vie américaine, d’une part, et d’autre part de la confluence entre le mythe du rêve américain et l’idée très personnelle que je m’étais faite des États-Unis avant de m’installer dans ce pays. En effet, peu après l’age de seize ans, j’avais commencé à envisager de quitter mon pays natal car j’essayais de survivre à une enfance difficile. Je réfléchissais. Sans l’intervention des Américains et des forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, mes grands-parents maternels auraient été abattus ou déportés pour leurs activités dans la Résistance française, alors je me suis mise à penser que les Américains pourraient tout aussi bien me sauver. C’était aussi simple que cela, dans mon esprit d’adolescente de seize ans.

Je devins citoyenne américaine avant la trentaine, mais j’étais encore loin de comprendre de quel genre de libération j’avais besoin. De qui devais-je me libérer, et de quoi ? Bref, l’Amérique ne m’avait pas sauvée comme par magie dès l’instant où j’avais posé le pied sur le sol américain à la descente de mon vol intercontinental. J’aurais bien aimé que l’Amérique soit si grande qu’elle puisse résoudre comme par magie tous mes problèmes – linguistiques, économiques, psychologiques, émotionnels, juridiques, et surtout ceux que je ne pouvais nommer, ceux qui pourtant dirigeaient ma vie. Oui, j’aurais aimé que l’Amérique soit un pays magique digne de Disneyland, mais pour de vrai. Un endroit où tous nos souhaits se réalisent.

En décembre 2000, cependant, un sérieux sentiment d’appréhension commença à s’installer. L’élection présidentielle entre Gore et Bush était trop serrée pour nommer un vainqueur. La marge de victoire était inférieure à 0,5 % en Floride, alors la Cour suprême de Floride ordonna un recomptage manuel, mais l’équipe juridique de Bush affirma que la Cour suprême de Floride avait outrepassé son autorité et porta l’affaire devant la Cour suprême des Etats-Unis. La Cour suprême – comme elle a continué à le faire le 1er juillet 2024 – s’est prononcée contre un processus électoral démocratique. 

En décembre 2000, la vie commença à ne plus jamais être comme avant, pour moi. Mon espoir de voir l’Amérique mener le monde vers une ère d’énergie durable s’effondra. Pire encore, j’ai ressenti un sentiment profond de trahison, comme si un membre de ma famille adoptive pour lequel j’aurais donné ma vie m’avait mutilée à vie. J’étais si perturbée que j’ai même envisagé d’abandonner ma première année de doctorat en anglais pour aller vivre hors réseau, loin des gens. Mais comment allais-je prendre soin de mes chiens ? Et comment allais-je survivre ? J’ai maintenu le cap, cependant, même si l’espèce de brise-glace psychologique dans lequel je me suis installée pour naviguer ces eaux menaçantes me donnait le mal de mer. Même si j’y laissais la peau, j’allais devenir plus Américaine que les Américains de naissance !

J’aurais aimé comprendre, en l’an 2000, ce que Robert Kagan a expliqué de manière si brillante et succincte dans une interview accordée à Vanity Fair en avril 2024 alors qu’il faisait la promotion de son dernier livre, Rebellion : How Antiliberalism Is Tearing America Apart – Again. Kagan soutient qu’ « il y a toujours eu un segment de la population hostile à la démocratie libérale – et qu’il ne manque pas de figures de proue pour mener une révolte contre elle ». Il retrace cette tendance antilibérale américaine « depuis la fondation de la nation jusqu’au mouvement MAGA d’aujourd’hui, et lance un avertissement sévère : Donald Trump, ses alliés et ses partisans ont rendu possible la dissolution de la démocratie libérale américaine ». Et « qu’ils réussissent ou non », écrit Kagan, « dépendra du peuple américain, démocrates comme républicains ».

Les opinions de Kagan dans le Washington Post sont accompagnées de titres effrayants tels que « C’est ainsi que le fascisme arrive en Amérique », « Nous avons une démocratie radicale. Les électeurs de Trump vont-ils la détruire ? » ou encore « La dictature de Trump : comment y mettre fin ? » Quel sera le titre de sa prochaine opinion dans le Washington Post maintenant que la Cour suprême a statué le 1er juillet 2024 que « le président est désormais un roi au-dessus de la loi », comme l’a exprimé la juge Sotomayor dans son opinion dissidente ?

Selon l’Encyclopédie de l’Holocauste, le fascisme rejette les pratiques du gouvernement démocratique représentatif ou libéral. Les dictateurs n’autorisent pas l’existence de partis d’opposition forts. Aux États-Unis, nous avons toujours un système bipartite, mais que se passerait-il si Trump était élu en 2024 ? Trump lui-même a répondu à cette question le 29 juillet 2024. Comme le rapporte The Guardian, Trump a exhorté ses partisans à « sortir et à voter, juste cette fois », ajoutant que « vous n’aurez plus à le faire. Quatre ans de plus, vous savez quoi ? Ce sera réglé, tout ira bien, vous n’aurez plus à voter, mes beaux chrétiens. » Et si ses propos effraient même Fox News, Trump ment et dit qu’il ne pensait pas vraiment ce qu’il a dit – jusqu’à ce qu’il gagne.

Ne vous y trompez pas : les partisans du mouvement MAGA veulent que le Dieu de l’Ancien Testament intronise leur roi Trump, l’Élu qui déchaînera la colère de Dieu sur tous ses adversaires. Et cela est vrai pour les partisans de Trump qui sont nés aux États-Unis ainsi que pour les immigrants qui aspirent aux traditions autoritaires de leur pays d’origine parce qu’elles leur sont familières. Un pigeon se lève tous les jours. Les pigeons MAGA croient que leur roi les sauvera de la dictature des principes énoncés dans le Nouveau Testament. Ils ne le formuleraient pas ainsi, bien sûr. Ce sont de bonnes gens, a ce qu’ils en disent. Mais, dans leur monde, les femmes furent créées à partir de l’une des côtes de l’homme, l’homme doit dominer – pas protéger – la nature, et le monde vivant doit se soumettre à un suzerain tout-puissant qui a du goût à la vengeance.

Je vous en supplie : votez pour Kamala Harris et Tim Walz, sinon c’en est fini de la démocratie américaine !

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