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Les Droits des Femmes Américaines v. La Fin

Voici la version française de American Women’s Rights v. The End publiée en anglais dans la revue québécoise bilingue The Nelligan Review (https://www.nelligan.review/):

Depuis le 24 juin 2022 aux Etats-Unis, le droit à l’avortement n’est plus protégé par la Constitution fédérale. Deux ans seulement après le revirement de jurisprudence concernant Roe v. Wade, le droit des femmes à l’avortement est dorénavant restreint ou carrément supprimé dans environ la moitié des États. En pratique, cela signifie que, dans la moitié du pays, nous avons moins de deux semaines à partir du moment où nous réalisons que nos règles sont en retard pour décider d’avorter, trouver un prestataire d’avortement, réunir les fonds nécessaires pour un éventuel voyage interétatique, obtenir un rendez-vous, et subir l’intervention. En effet, le compte à rebours légal commence dès le dernier jour de nos dernières règles ! L’avortement est néanmoins toujours accessible dans environ la moitié des États, mais cela peut changer rapidement si Trump est réélu en novembre 2024, alors je prie Dieu pour que Kamala Harris puisse être élue présidente des Etats-Unis en novembre 2024.

Je prie Dieu pour que Kamala Harris gagne. Attendez ! Ai-je bien écrit que je prie Dieu pour que la candidate démocrate à la présidentielle soit élue afin qu’elle préserver et restaure nos droits en matière de sexualité et de procréation ? Oui, car l’anglais est ma langue d’adoption, et donc j’ai dû apprendre cette langue qui met Dieu a toutes les sauces. Les Américains mettent Dieu par ci et par là plus souvent qu’ils ne le pensent. Ils éternuent, et c’est que Dieu vous bénisse ! Ils s’énervent, et c’est oh mon Dieu ! Ils pensent que vous êtes sur la mauvaise voie, et ils vous  demandent, au nom de Dieu, pourquoi donc. Ils sont stupéfaits, et c’est pour l’amour de Dieu. Le Seigneur a également sa place à la table du parler, alors faites attention de ne pas prononcer le nom du Seigneur en vain sous peine que Dieu vous foudroie – bien que, jusqu’à présent, Dieu ait épargné tous les menteurs. Dieu ne se montre pourtant pas rechignant envers les armes à feu. Il n’y a qu’à lire les signes divins qui apparaissent sur les casquettes de baseball : Dieu, Fusils d’Assaut, et Trump. Parfois, on ajoute Liberté, Bière et Barbecue à cette salade de mots. Jésus se tient quand même un peu en retrait. Jésus côtoyant une mitraillette serait une image un peu plus difficile à avaler, peut-être. Vous devriez vous plonger dans le Nouveau Testament. Aime ton prochain comme toi-même. Dieu, ça prend moins de place en majuscules sur un chapeau, et ça donne meilleure conscience que Jésus. À moins que vous ayez plus d’espace pour écrire, comme sur les T-shirts à 19,99 $ d’Amazon. Alors là, Jésus est mon sauveur, et Trump mon président. Oh, Seigneur ! Oh mon Dieu ! Oh, Jésus !

Quand j’étudiais l’anglais en tant que langue étrangère en France dans un lycée de province, Monsieur Regard, mon professeur, avait prévenu notre classe que nous ne pourrions comprendre les Américains si nous ne consacrions pas au moins un peu de temps à la lecture de la Bible et de l’histoire des puritains en Angleterre et dans le Nouveau Monde. Nous étions des adolescents, à l’époque, alors nous affairer à comprendre les paroles des chansons rock – ou disco, dans mon cas – était plus attrayant. De plus, je n’aurais jamais pensé, à seize ans, que je me trouverais en Californie du Sud quatre ans plus tard en tant qu’étudiante étrangère De plus, j’avais lu qu’il y existait la séparation de l’Église et de l’État aux États-Unis. De plus, j’avais lu que les États-Unis étaient une démocratie fondée sur les principes des droits naturels, tout comme en France. Les gens avaient des droits naturels qui existaient avant que Dieu ne se laisse pousser la barbe et avant même qu’il naisse. Il nous restait simplement à définir et défendre ces droits, après cela. Les droits des femmes, les droits des enfants, les droits des animaux. Lève-toi, debout, lève-toi pour tes droits, comme dans la chanson de Bob Marley.

Une fois aux États-Unis, cependant, une dissonance cognitive s’est installée dans ma vie. Je n’ai encore pas su régler la discorde mentale qui résulte des conflits nés des affrontements entre mes observations et mes apprentissages à la vie américaine, d’une part, et d’autre part de la confluence entre le mythe du rêve américain et l’idée très personnelle que je m’étais faite des États-Unis avant de m’installer dans ce pays. En effet, peu après l’age de seize ans, j’avais commencé à envisager de quitter mon pays natal car j’essayais de survivre à une enfance difficile. Je réfléchissais. Sans l’intervention des Américains et des forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, mes grands-parents maternels auraient été abattus ou déportés pour leurs activités dans la Résistance française, alors je me suis mise à penser que les Américains pourraient tout aussi bien me sauver. C’était aussi simple que cela, dans mon esprit d’adolescente de seize ans.

Je devins citoyenne américaine avant la trentaine, mais j’étais encore loin de comprendre de quel genre de libération j’avais besoin. De qui devais-je me libérer, et de quoi ? Bref, l’Amérique ne m’avait pas sauvée comme par magie dès l’instant où j’avais posé le pied sur le sol américain à la descente de mon vol intercontinental. J’aurais bien aimé que l’Amérique soit si grande qu’elle puisse résoudre comme par magie tous mes problèmes – linguistiques, économiques, psychologiques, émotionnels, juridiques, et surtout ceux que je ne pouvais nommer, ceux qui pourtant dirigeaient ma vie. Oui, j’aurais aimé que l’Amérique soit un pays magique digne de Disneyland, mais pour de vrai. Un endroit où tous nos souhaits se réalisent.

En décembre 2000, cependant, un sérieux sentiment d’appréhension commença à s’installer. L’élection présidentielle entre Gore et Bush était trop serrée pour nommer un vainqueur. La marge de victoire était inférieure à 0,5 % en Floride, alors la Cour suprême de Floride ordonna un recomptage manuel, mais l’équipe juridique de Bush affirma que la Cour suprême de Floride avait outrepassé son autorité et porta l’affaire devant la Cour suprême des Etats-Unis. La Cour suprême – comme elle a continué à le faire le 1er juillet 2024 – s’est prononcée contre un processus électoral démocratique. 

En décembre 2000, la vie commença à ne plus jamais être comme avant, pour moi. Mon espoir de voir l’Amérique mener le monde vers une ère d’énergie durable s’effondra. Pire encore, j’ai ressenti un sentiment profond de trahison, comme si un membre de ma famille adoptive pour lequel j’aurais donné ma vie m’avait mutilée à vie. J’étais si perturbée que j’ai même envisagé d’abandonner ma première année de doctorat en anglais pour aller vivre hors réseau, loin des gens. Mais comment allais-je prendre soin de mes chiens ? Et comment allais-je survivre ? J’ai maintenu le cap, cependant, même si l’espèce de brise-glace psychologique dans lequel je me suis installée pour naviguer ces eaux menaçantes me donnait le mal de mer. Même si j’y laissais la peau, j’allais devenir plus Américaine que les Américains de naissance !

J’aurais aimé comprendre, en l’an 2000, ce que Robert Kagan a expliqué de manière si brillante et succincte dans une interview accordée à Vanity Fair en avril 2024 alors qu’il faisait la promotion de son dernier livre, Rebellion : How Antiliberalism Is Tearing America Apart – Again. Kagan soutient qu’ « il y a toujours eu un segment de la population hostile à la démocratie libérale – et qu’il ne manque pas de figures de proue pour mener une révolte contre elle ». Il retrace cette tendance antilibérale américaine « depuis la fondation de la nation jusqu’au mouvement MAGA d’aujourd’hui, et lance un avertissement sévère : Donald Trump, ses alliés et ses partisans ont rendu possible la dissolution de la démocratie libérale américaine ». Et « qu’ils réussissent ou non », écrit Kagan, « dépendra du peuple américain, démocrates comme républicains ».

Les opinions de Kagan dans le Washington Post sont accompagnées de titres effrayants tels que « C’est ainsi que le fascisme arrive en Amérique », « Nous avons une démocratie radicale. Les électeurs de Trump vont-ils la détruire ? » ou encore « La dictature de Trump : comment y mettre fin ? » Quel sera le titre de sa prochaine opinion dans le Washington Post maintenant que la Cour suprême a statué le 1er juillet 2024 que « le président est désormais un roi au-dessus de la loi », comme l’a exprimé la juge Sotomayor dans son opinion dissidente ?

Selon l’Encyclopédie de l’Holocauste, le fascisme rejette les pratiques du gouvernement démocratique représentatif ou libéral. Les dictateurs n’autorisent pas l’existence de partis d’opposition forts. Aux États-Unis, nous avons toujours un système bipartite, mais que se passerait-il si Trump était élu en 2024 ? Trump lui-même a répondu à cette question le 29 juillet 2024. Comme le rapporte The Guardian, Trump a exhorté ses partisans à « sortir et à voter, juste cette fois », ajoutant que « vous n’aurez plus à le faire. Quatre ans de plus, vous savez quoi ? Ce sera réglé, tout ira bien, vous n’aurez plus à voter, mes beaux chrétiens. » Et si ses propos effraient même Fox News, Trump ment et dit qu’il ne pensait pas vraiment ce qu’il a dit – jusqu’à ce qu’il gagne.

Ne vous y trompez pas : les partisans du mouvement MAGA veulent que le Dieu de l’Ancien Testament intronise leur roi Trump, l’Élu qui déchaînera la colère de Dieu sur tous ses adversaires. Et cela est vrai pour les partisans de Trump qui sont nés aux États-Unis ainsi que pour les immigrants qui aspirent aux traditions autoritaires de leur pays d’origine parce qu’elles leur sont familières. Un pigeon se lève tous les jours. Les pigeons MAGA croient que leur roi les sauvera de la dictature des principes énoncés dans le Nouveau Testament. Ils ne le formuleraient pas ainsi, bien sûr. Ce sont de bonnes gens, a ce qu’ils en disent. Mais, dans leur monde, les femmes furent créées à partir de l’une des côtes de l’homme, l’homme doit dominer – pas protéger – la nature, et le monde vivant doit se soumettre à un suzerain tout-puissant qui a du goût à la vengeance.

Je vous en supplie : votez pour Kamala Harris et Tim Walz, sinon c’en est fini de la démocratie américaine !

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IANDS le 19 août 2023

Voici la version française de la transcription du discours que j’ai prononcé en anglais lors de ce séminaire en ligne organise par IANDS le 19 août 2023

Je n’ai aucun talent d’oratrice, mais je suis autrice, alors j’ai préparé quelques lignes de mots à partager avec vous.

Au cours des 20 prochaines minutes, j’aimerais vous vous dire combien mes multiples expériences de transformation spirituelle et mes deux expériences de mort imminente me furent utiles. J’espère que mon histoire agira aussi comme une invitation à nous pencher sur les recoins où les graines d’une vie saine ont été plantées et sur la façon dont elles s’épanouissent dans nos vies.

Alors, en quoi telles expériences m’ont-elles été utiles ? Elles ont soufflé le vent de la vie sur mon chemin. Elles ont déposé des graines de santé émotionnelle et spirituelle dans mon cœur. Elles ont créé les normes qui m’ont permis de pouvoir juger mon propre comportement et celui d’autrui. Elles m’ont aidé à apprendre le discernement. Elles m’ont appris à engendrer une sécurité intérieure et extérieure relatives. Elles furent comme les cailloux blancs que Le Petit Poucet avait mis dans sa poche pour pouvoir retrouver le chemin de sa maison après que ses parents l’avaient eu abandonné, lui et ses frères et sœurs.

Le Petit Poucet est un conte de l’auteur français Charles Perrault publié pour la première fois en 1697 dans un recueil de contes de fées. Si les Américains sont familiers avec le petit chaperon rouge, la belle au bois dormant, et le chat botté de Charles Perrault, ils ne connaissent pas Hop O My Thumb, qui est la traduction anglaise du petit poucet. Mais je suis née et j’ai grandi en France de parents divorcés qui me parlaient français et qui parlaient le patois local avec leurs parents, et j’ai appris à m’exprimer en grande partie avec ce recueil de contes de fées. Et de tous les contes de Perrault, c’est le petit poucet qui m’a le plus parlé.

C’est l’histoire d’un couple démuni qui abandonne leur 7 enfants dans la forêt afin qu’ils meurent de faim et qu’ils cessent d’être des bouches à nourrir. Le plus jeune, qui ne mesure qu’un pouce, surprend la conversation de ses parents alors qu’ils élaborent le plan d’abandonner leurs enfants. Il a la prévoyance de se remplir les poches de petits cailloux blancs. Alors que les parents conduisent les enfants vers l’intérieur de la forêt, il fait tomber ses cailloux un par un afin que, même au clair de lune, il puisse retracer ses pas en sens inverse, avec ses frères et sœurs, jusqu’à leur maison. A leur retour, cependant, leurs parents se mettent en colère et abandonnent à nouveau leurs enfants. Cette fois, alors que les frères et sœurs cherchent comment sortir de la forêt, ils tombent sur la maison d’un ogre, de sa femme, et de leurs 7 filles. L’ogre, étant un ogre, veut tuer et manger les 7 frères et sœurs, mais le petit poucet parvient à déjouer les plans de l’ogre, qui tue ses propres filles au lieu des enfants. Le petit poucet déjoue également les plans de l’ogresse. A la fin de l’histoire, on apprend que le petit poucet ramène ses frères et sœurs sains et saufs à la maison. Il apporte aussi avec lui tous les trésors matériels que l’ogre et l’ogresse avaient accumulé.  

Mes professeurs m’expliquèrent que la morale du conte de fées était la suivante : le plus petit des enfants est capable de sauver sa famille de la pauvreté s’il est assez rusé.

Mais l’histoire ne m’a jamais parlé ainsi. La morale offerte par mes professeurs me paraissait grotesque. L’immense détresse émotionnelle des enfants était balayée sous le tapis. De plus, je n’avais pas la personnalité rusée de Le Petit Poucet. Même si je n’étais qu’à l’école primaire, j’étais déjà fatigué de la vie et je ne voulais ni espionner ni me battre contre les adultes. Mijoter des complots contre ceux qui auraient dû me protéger me paraissait futile.

J’étais certaine d’avoir vécu ailleurs que sur terre avant ma naissance. J’étais persuadée que ma naissance avait elle-même été une erreur. Ma seule envie était de retourner d’où je venais, pas de rendre la monnaie à des monstres et démons en tous genres.

Mon premier souvenir d’enfance remonte au moment où j’étais en train de gratter le mur à côté de mon petit lit a barreaux à un âge où je me trouvais à la frontière de l’acquisition du langage. Je me souvenais avoir traversé une sorte d’autoroute brumeuse mais lumineuse d’un blanc grisâtre qui n’était pas plate mais comme un tube à travers lequel j’avais glissé jusqu’au moment venu d’investir mon corps physique, celui qui me permet maintenant de vous parler. Au fur et à mesure que mon corps nouveau-né se développait, dès que je pus me lever et rester stable assez longtemps pour pouvoir gratter le mur le long duquel mon berceau avait été poussé, je le fis. J’ai lacéré le papier peint bleu de mes petits doigts pour rouvrir l’accès a ce tunnel, et quand j’atteins le plâtre derrière le papier peint, la couleur lumineuse du plâtre me fit penser que j’avais bien atteint un morceau de l’autoroute que j’avais parcourue avant ma naissance. La consistance crayeuse du mur me rappelait également la texture du tunnel qui me reliait à mon monde d’avant. C’était ce genre d’onctuosité qui m’avait permis de glisser dans ce tunnel-autoroute sans effort. J’étais convaincue, bien avant mes premiers cours de chimie, qu’il y avait de l’espace dans ce qui, sur terre, prenait l’apparence de matière solide. J’étais convaincue d’avoir emprunté cet espace avant de devenir la petite Dominique. Une fois sur terre, cependant, gratter à travers le mur pour reprendre cette autoroute-tunnel demandait un certain effort car l’espace s’était rétréci et la matière était devenue plus envahissante.  Cependant, le plâtre s’effritait bien sous mes doigts et j’étais convaincue que, si seulement je continuais de creuser, je pourrais passer à travers le plâtre et retourner chez moi.

À un certain moment, j’ai entendu une voix télépathique me dire que j’allais oublier ce passage et que mon oubli serait en lien avec le processus d’acquisition du langage, mais j’ai juré que je n’oublierais pas.

Je n’ai jamais oublié avoir traversé un tunnel d’espace lumineux sur le chemin de ma naissance. Je n’ai jamais oublié venir d’ailleurs. Dans ce monde prénatal, il y avait des informations cruciales qui pouvaient m’aider à comprendre comment vivre sur terre. Je n’ai jamais oublié cela. Je me suis aussi toujours souvenue que ce monde dont je venais était aussi éloigné et pourtant aussi proche que l’espace entre les atomes de mon corps et de l’univers terrestre qui m’avait happée. Mais, a l’âge de cinq ans, j’avais complètement oublié le contenu de ces informations cruciales à ma bonne adaptation à la vie terrestre.

Retournons maintenant à notre petit poucet. Voici la deuxième raison pour laquelle cette histoire me parlait tant : les parents du petit poucet l’avaient abandonné ainsi que ses frères et sœurs parce qu’ils les percevaient comme un fardeau dont ils voulaient se débarrasser, mais ils ne vivaient pas au plein jour cette horrible vérité. Ils abandonnèrent leurs enfants hors de la vue et du jugement du public.

Un tel comportement me rappelait malheureusement celui de mes propres parents et, plus tard, celui de ma belle-mère. En public, c’étaient des gens d’un certain statut social, mais en privé, avec moi ou derrière mon dos, c’étaient des gens abusifs qui ont maintes fois et de maintes façons trahi mon innocence et ma confiance. D’une certaine manière, cependant, même si ma personnalité n’était pas celle du petit poucet, ce conte m’a donné l’espoir qu’à ma manière, je pourrai un jour échapper à leur emprise.  A l’époque, cependant, encore si jeune, cela signifiait pour moi retrouver le chemin de l’autoroute lumineuse par laquelle j’étais venue dans cette vie et l’emprunter en sens inverse.

Mes parents n’auraient jamais dû se marier. Ils se sont pourtant mariés 17 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Même s’ils avaient grandi à seulement quelques kilomètres l’un de l’autre en Auvergne, ils étaient issus de familles aux valeurs profondément différentes. Les parents de ma mère avaient rejoint la Résistance pendant la guerre, et ils savaient que le père de mon père avait collaboré avec le gouvernement de Vichy et la Gestapo. Ils ne voulaient pas que leur fille, en se mariant, entre dans ce genre de famille. De même, les valeurs de mon père ne pouvaient pas être plus différentes de celles de ma mère. Une femme devait obéir à son mari et à son beau-père et elle ne pouvait pas travailler. Bref, neuf mois après que ma mère m’ait donné naissance, elle quitta mon père et toute sa famille et m’emmena chez ses parents. Elle emmena aussi les chiens que mon père avait jetés d’un coup de pied du haut d’un escalier en ciment en se plaignant que ma mère les aimait plus que lui. On a tous les trois fait le voyage sur la banquette arrière de la 2CV de ma mère, moi dans mon couffin. Cela marqua le début d’un divorce amer et acrimonieux qui ne fut finalisé que vers mes 5 ans. Et pour le restant de leur vie, ils continuèrent de m’utiliser pour se venger l’un de l’autre par procuration. Plus tard ma belle-mère qui, souffrant d’endométriose, ne pouvait avoir d’enfants, s’est mise à m’en vouloir d’avoir à supporter mon existence et ma présence chez elle pendant deux mois de l’année et ajouta des louches de sel a cette soupe déjà immangeable.

A cela vint s’ajouter un autre problème de taille. Enfant, et même pendant la majorité de ma vie adulte, je ne pouvais accepter à quel point leurs personnalités et comportements antagonistes m’avaient affectée et continuaient de m’affecter en mal, même de loin et longtemps après avoir déménagé seule en Amérique.

Comme l’explique la psychologue Jennifer Freyd dans sa théorie du traumatisme de trahison, les enfants victimes de trahisons parentales dépendent de leurs parents pour leur survie et donc, pour sauvegarder les liens affectifs nécessaires à leur survie, ils ne « voient » pas les trahisons de ceux censés les protéger. C’est un mécanisme nécessaire à la survie, bien sûr, mais qui est cependant profondément dommageable pour la santé à long terme. D’où le traumatisme créé lors de ce processus de cécité psychologique.

    Les parents du petit poucet étaient dépourvus de tout confort matériel. Les miens ne l’étaient pas, mais ils étaient tout aussi dépourvus spirituellement et émotionnellement.

En résumé, les enfants ne peuvent pas voir que leurs parents et beaux-parents sont des individus profondément toxiques car ils dépendent entièrement de ces gens pour leur survie. En confrontant leurs parents, les enfants risquent de les aliéner, et donc ils risquent la mort. Pour éviter ma mort, j’ai donc commencé à croire, comme mes parents et ma belle-mère le croyaient, que ma naissance était de ma faute et que je n’aurais jamais dû naître. Mon corps a développé des maladies chroniques. Quand j’avais 4 ou 5 ans, ma petite copine voisine de chez mes grands-parents paternels mourut d’un cancer. Ma grand-mère, fervente catholique, m’informa qu’elle était montée au ciel et qu’elle ne souffrait plus. Je lui dit que moi aussi je souhaitais pouvoir aller au ciel afin de ne plus souffrir, mais elle m’a demandé de ne pas dire de choses pareilles.

A 5 ans, j’avais déjà perdu espoir de pouvoir retrouver et déblayer l’entrée de l’autoroute lumineuse qui aurait pu me ramener vers ma vie antérieure et vers ce monde que j’étais convaincue ne jamais avoir dû quitter. Un jour, cependant, alors que je regardais une adaptation cinématographique américaine de 1959 du livre de Jules Verne Voyage au centre de la terre, une image s’est égrainée dans mon paysage intérieur : je me vis piégée dans une toile d’araignée géante quelque part sous la terre au-dessus de laquelle ma vraie maison était érigée. L’araignée géante pouvait arriver à tout moment pour commencer à me dévorer vivante. Rien que d’y penser, ça me paralysait. Et pourtant, ma maison d’en haut continuait de projeter sa lumière à travers un cratère qui me laissait entrevoir l’autoroute lumineuse qui reliait les deux mondes. J’étais captive de la toile d’araignée, paralysée de terreur, mais je voyais aussi le chemin de ma libération s’esquisser. Si seulement j’arrivais à couper les fils qui me retenaient captive de cette toile d’araignée, je saurais comment remonter à la surface et au-dessus de la terre où j’étais tombée et ou je m’étais faite piéger.

Durant la décennie qui suivit et jusqu’à mes seize ans, j’ai bien essayé de me libérer. Deux rappels spontanés de vies antérieures sont même venus à mon aide. Dans cette vie, je n’allais pas répéter les chemins de la drogue et de la violence physique parcourus dans le passé. La communication intuitive avec les animaux me venait aussi naturellement et m’apportait un grand réconfort car, les animaux et moi, nous nous connections vraiment de cœur à cœur, là où ça fait du bien. Lors d’une occasion mémorable, des chiens apparurent mȇme à l’improviste pour me protéger d’un taureau qui chargeait et qui m’aurait sûrement encornée sans leur mystérieuse intervention. Leur intervention mystérieuse me fit découvrir que quelque chose dans l’univers veillait sur moi et que les chiens comprenaient ce langage bienveillant de l’univers et me faisaient cadeau de leur affection authentique.

Mais puisque je ne dispose que d’une vingtaine de minutes, je vais maintenant vous parler de ma première expérience de mort imminente a l’age de seize ans lorsque la paralysie s’empara subitement de moi. C’est à ce moment-là que, contre toute attente, j’appris que ma présence sur terre n’était pas une erreur et que je ne devais pas chercher a tout pris a reprendre le chemin de la vie en sens inverse pour retourner d’où je venais.

Ma vie sur terre n’était donc pas une erreur ? Bon ! je peux l’admettre ! Mais maintenant, j’avais un autre problème de taille dont je veux maintenant vous parler. Pendant ma première expérience de mort imminente, j’ai retrouvé l’entrée du tunnel lumineux que je n’avais jamais oublié depuis ma naissance. J’étais si heureuse de pouvoir finalement retourner dans mon pays d’origine, celui que je n’aurais jamais dû quitter ! Mais voilà : il arriva un moment dans mon voyage à travers cet espace lumineux où quelque chose entrava mon envol. Une voix télépathique commença à me parler. Je ne pouvais pas distinguer si c’était la même voix qui m’avait dit, alors que j’apprenais a parler, que j’oublierais ma vie d’avant ma naissance et tout le savoir dont j’aurais cependant besoin pour réussir ma vie sur terre. Cette voix m’informait que j’avais un choix à faire, et ce choix se mit à défiler devant moi tel un film : je pouvais continuer mon envol vers le monde où je vivais avant de naitre. Si je faisais un tel choix, cependant, je ne pourrais pas rester longtemps dans cet espace lumineux de bonheur. Très vite, je devrais me réincarner. Cette nouvelle réincarnation se mit à défiler devant moi et s’arrêta sur un gros plan de moi, jeune fille, prisonnière à l’intérieur d’un complexe d’adobe et regardant à travers une porte en fer voûtée l’immensité d’un désert. Parce que j’étais du sexe féminin, je ne pouvais pas partir avec les rares marchands du désert qui passaient à l’occasion. Pourtant j’aspirais à leur liberté comme si j’étais sur le point de mourir de soif. Néanmoins, je savais que, dans cette vie future, me libérer serait beaucoup plus difficile à accomplir que me libérer dans ma vie de Dominique vivant dans une démocratie.

Mais de quoi devais-je me libérer dans la vie que je menais déjà en tant que Dominique ? C’était mon nouveau problème à résoudre. C’était un problème de taille que la voix télépathique ne m’aida pas à résoudre. J’entendis seulement que, si je choisissais de continuer mon envol hors de Dominique, mes vies deviendraient de moins en moins propices à l’accomplissement de l’objectif que je m’étais fixée dans pour ma vie de Dominique. Peu importe le nombre de vies que cela prendrait, je devrais cependant atteindre cet objectif !

A mon retour à la vie en tant que Dominique de 16 ans, une colère bouillonnante s’installa en mon for intérieur. Écrasée était ma certitude antérieure que je pouvais retourner dans le monde d’où je venais et y rester pour l’éternité si seulement je pouvais trouver l’entrée de l’autoroute lumineuse qui pourrait m’y ramener. Et pour ajouter une cerise amère sur cet horrible gâteau, j’étais maintenant submergée sous la nécessité de comprendre ce que j’étais venue faire dans la vie.

Mes grands-parents maternels, qui avaient combattu les nazis et avec qui j’avais vécu les premières années de ma vie, vénéraient les Alliés et les Américains. Ils disaient que, sans leur intervention, il n’y aurait pas eu de libération en France et en Europe. (D’ailleurs, j’appris plus tard qu’un voisin avait dénoncé mon grand-père à la Gestapo quelques jours seulement avant le débarquement. Si la lettre de dénonciation était parvenue au siège de la Gestapo à Chamalières seulement quelques semaines plus tôt, je ne serais pas là aujourd’hui à vous parler de ma quête spirituelle). Le mot libération me parlait déjà de façon intime, et j’ai simplement fait la liaison entre la libération de la France à ma libération personnelle. J’ai donc décidé de partir en Amérique a la recherche de ma libération personnelle.

Encore une fois, pour gagner du temps, je vais avancer rapidement jusqu’à l’âge de vingt ans, quand j’ai atterri en Californie avec en poche un visa d’étudiante étrangère.

Je m’étais emmenée avec moi ! Et ca allait devenir un gros problème, pour moi !

Dans l’espoir d’oublier mon passé, je pris le nombre maximum de cours chaque semestre pour apprendre à devenir américaine le plus rapidement possible. J’avais cette croyance étrange, irrationnelle, mais inébranlable, à l’époque, que dès le moment où je me transformerais en américaine, je serais automatiquement libérée. Souvenez-vous, je n’avais que 20 ans à l’époque.

Je vis pourtant le jour de la réception de mon statut de résidente permanente des États-Unis comme telle une biche coincée dans les phares d’une voiture sur le point de l’écraser.

Nouveau survol de vie pour nous emmener à l’âge de 27 ou 28 ans. Je me retrouve à nouveau paralysée. Cette fois, j’étais assez âgée pour comprendre que j’avais besoin connaitre l’amour. Je sentais que l’amour me donnerait l’énergie physique, le carburant, pour ainsi dire, nécessaire à ma vie sur terre afin que je puisse vivre assez longtemps pour découvrir ce que j’étais venue faire, le faire, et enfin partir sans devoir revenir pour finir mon travail inachevé.

Ce jour-là, j’étais seule avec mes chiens. Je n’arrivais pas à dormir car je sentais mon corps succomber à la paralysie totale. À l’époque, je faisais du bénévolat auprès d’une organisation de défense des animaux, mais je ne savais pas si j’aurais la force d’appeler l’une des autres bénévoles pour qu’elle s’occupe de mes chiens au cas où je mourrais pour de bon, cette fois-ci. À l’époque, les refuges pour animaux de la ville de San Diego vendaient encore chiens, chats, et autres animaux qu’ils étaient censés protéger à des laboratoires de recherche médicale. Penser que mes chiens pourraient se retrouver attachés à une table et découpés vivants me remplit d’une rage incroyable qui fit boule de neige et s’agrandit de toutes les blessures de ceux qui ne pouvaient pas se défendre et qui se retrouvaient piégés dans leurs propres versions d’une toile d’araignée géante au centre de la terre, figés dans l’attente que le monstre s’apprête à les digérer vivants. Tous les griefs que j’avais accumulés contre un dieu que je considérais comme un souverain sadique de l’univers refirent surface. À ce moment-là, bien que mon corps soit paralysé et allongé au lit, mon esprit ne s’était jamais senti aussi fort ni aussi combatif.

Subitement, j’ai lancé un défi à ce criminel dégénéré et sadique que les Américains appelaient Dieu. Ce défi pris la forme d’un duel à mort, un combat d’épée à la manière française. « Si tu existes, espèce de salopard, si tu veux me faire croire que tu es Dieu comme veulent me le faire croire les Américains, montre-moi ce que c’est que l’amour ! Si tu n’y arrives pas, c’est preuve que tu n’es qu’un imposteur. Et alors là, je jure que là, je te tuerai. J’en finirai avec toi une fois pour toutes. Je te suivrai jusqu’en enfer et de l’autre côté de l’enfer s’il le faut, mais je te tuerai !

Le super-guerrier que je me souvenais avoir été dans une vie passée refit surface à ce moment-là et se mit à vivre en moi. Je savais qu’ainsi possédée d’un esprit aussi indomptable, j’irais jusqu’au bout de mon défi.

Je m’observais aussi, en même temps. La facilité avec laquelle j’avais mis le Dieu Américain et Français dans le même sac qu’u un chef de guerre sadique et narcissique à abattre me surprenait. Cette gigantesque confiance en moi me surprenait aussi

Dieu ne vint cependant pas à moi sous la forme vile que j’avais conceptualisée. Une main évanescente d’apparence humanoïde me souleva hors de mon corps et jusque dans une forêt luxuriante où la pensée même de la douleur n’existait pas. J’étais seule avec les arbres et les plantes, il n’y avait pas d’autres humains, et j’éprouvais un sentiment de bien-être, de sécurité, de calme et de soulagement que je ne savais pas auparavant pouvoir exister. J’ai eu faim, et une fleur jaune a instantanément glissé le long d’une branche d’arbre pour que je puisse boire son nectar. Il n’était pas nécessaire de tuer des animaux pour se nourrir. J’étais vraiment au paradis.

Je me suis demandé à qui appartenait la main qui m’avait soulevée dans un tel paradis. Un esprit magnifique et d’apparence androgyne m’est apparu. Imaginez un croisement entre les interprétations artistiques du dieu Shiva et de Mahavatar Babaji, et vous pourrez vous faire une idée de ce dont avait l’air cet esprit.

Mais, choquée, je me rendis compte que je le rendais triste.

Je ne pouvais absolument pas supporter de le rendre triste !

Je devinais qu’il était triste parce que, au lieu de vivre, pendant toute ma vie j’avais vécu sans être ni vivante ni morte. Mais pourquoi cela le rendait-il triste ? Shiva m’emmena à un endroit dans la forêt où l’on pouvait voir la terre en contrebas. C’était la nuit, donc tout ce que je pouvais voir, c’étaient les contours terrestres en toile de fond pour de nombreuses petites lumières minuscules mais brillantes qui scintillaient à la surface de la terre. C’est alors que j’ai compris que Shiva souhaitait que je me réveille pour devenir l’une de ces petites lumières sur terre.

Je compris aussi intuitivement que, si je ne devenais pas une petite lumière sur terre, je ne pourrais plus remonter dans notre forêt magique. Je ne pourrais plus être réunie avec lui. L’énergie du paradis de Shiva bloquerait la mienne, restée trop différente. Devenir une petite lumière transformerait pour de bon mon énergie actuelle, la rendrait plus stablement paradisiaque afin que, une fois le moment venu de mourir pour de bon, je puisse rester un peu plus longtemps dans cette forêt magique.

La leçon de ma deuxième expérience proche de la mort était maintenant limpide :  je devais redescende sur terre.  Mais cette fois, il fallait que je vive pleinement et que je brille ! Ce fut probablement la nouvelle la plus choquante de ma vie !

Et sans l’intervention d’une autre expérience de transformation spirituelle, j’aurais rejeté un tel savoir, je me serais dit que ce n’était rien d’autre qu’un fruit de mon imagination plus coloré que les autres !

Une petite chienne nommée Maïka, que j’aimais de tout mon cœur et qui me rendait mon amour de tout son cœur, vint vers moi dans un rêve quelques temps après. Le rêve était si réel qu’il m’a réveillé. Elle m’a dit que j’apprendrais qu’elle était morte, mais de ne pas pleurer, car…

Elle me montra où elle était.

Elle était dans un pré adjacent à la forêt de Shiva !

Je faisais entièrement confiance à Maïka, contrairement aux humains. Après son intervention mystique, je n’ai plus jamais douté de ce que j’avais vécu pendant cette deuxième expérience proche de la mort, et je me suis efforcée de devenir la petite lumière sur terre que Shiva m’encourageait tant à devenir.

En conclusion :

Expliquer de façon adéquate les étapes que j’ai suivies pour me libérer de la toile d’araignée géante qui m’avait emprisonnée prendrait trop de temps. Je voudrais cependant vous dire que ma capacité à couper les liens qui me liaient à ce paysage intérieur infernal dépendait autant de la vulgarisation de nouvelles découvertes dans le domaine de la psychologie que de mon ancrage dans le monde de Shiva. Je suis particulièrement redevable aux docteurs Ramani Durvasula et Les Carter. Ils créent nombre de merveilleuses vidéos sur leurs chaines YouTube afin de diffuser des informations d’intérêt général sur les personnalités toxiques, comment réparer les dégâts qu’elles causent, et comment s’en protéger. Je suis aussi particulièrement redevable à Amma Sri Karunamayi et à Sri M, mes professeurs bien-aimés, qui sillonnent le monde en personne pour nous apprendre a vivre.

Jusqu’à présent, ma façon de faire briller ma petite lumière dans le monde fut de mettre terme à la plupart des schémas familiaux intergénérationnels abusifs autant sur le plan psychologique qu’émotionnel et spirituel. Je suis vraiment reconnaissante de pouvoir ressentir un profond et inébranlable amour pour mon enfant. C’est cet amour pour lui qui a enflammé mon esprit et qui m’a donné la force de faire en sorte que je puisse transformer en mieux ce que le passe m’avait transmis de toxique. 

Je me sens maintenant sur le point de me lancer vers d’autres horizons, qui ne sont pourtant pas entièrement nouveaux, et je prie de pouvoir continuer à être conduite et guidée afin de continuer de faire briller ma petite lumière sur de nouveaux recoins de notre belle terre.

Francais · Memoir

La poule ou l’œuf ?

Oublier est pire que de me souvenir que ma grand-mère était entrée dans la chambre de mon père pendant la sieste alors qu’il était sur le point de me violer quand j’avais quatre ans parce que j’ai essayé d’oublier mais l’oubli n’a pas voulu rester oublié et s’est envolé avec moi et s’est encore aggravé alors que j’avais déjà traversé un océan et un continent entier et que je ne parlais pas la nouvelle langue et que je ne connaissais pas les mœurs du pays donc mon corps pouvait me rattraper avec plus d’aisance pour me paralyser jusqu’à ce que je sois presque morte, mais je ne pouvais pas mourir, ce qui me forçait à me souvenir à nouveau et à essayer d’oublier encore et encore.

The Chicken or the Egg” was published in English in The Nasiona.

Francais · Memoir

Couper les liens

Avant l’âge de trente ans, j’étais déjà morte et ressuscitée deux fois. Parce que je n’étais pas une enfant désirée, j’avais pris l’habitude de vivre au bord de la vie, là où ceux d’entre nous dont les parents n’auraient jamais dû les mettre au monde attendent de pouvoir enfin partir. Cependant, mes deux expériences de mort imminente m’avaient donné la certitude d’avoir besoin d’apprendre à vivre une vie qui en valait la peine. Afin d’augmenter mes chances de réussite, j’avais quitté l’Europe pour les États-Unis d’Amérique.

Une fois en Amérique, en sécurité car loin de mes parents, je ne savais cependant toujours pas comment procéder. Dès le début, j’ai travaillé dur pour maîtriser rapidement une nouvelle langue et un nouveau mode de vie dans l’espoir que cela me permettrait de comprendre exactement ce que j’étais venu faire dans la vie. Une fois ma mission mise en lumière et accomplie, j’espérais pouvoir retourner là où je vivais avant cette vie, dans cet endroit que je n’aurais jamais dû quitter avant de naître dans un monde où l’on ne voulait pas de moi. Mais comment faire ? Jamais je n’aurais imaginé qu’une rencontre des plus inattendues avec un monstre transgénérationnel puisse déclencher une transformation intérieure suffisamment puissante pour donner un sens authentique et pratique au reste de ma vie sur terre.

Le soir de mon trentième anniversaire, j’étais arrivée en avance à l’appartement de ma meilleure amie en espérant pouvoir commencer à célébrer avant le coucher du soleil dans mes café-concert préférés du centre-ville de San Diego. Quand je suis arrivée chez elle, cependant, sa nièce d’un an était là. La sœur de mon amie, qui avait entamé une procédure de divorce avec son mari infidèle, avait obtenu un rendez-vous de dernière minute avec son avocat, et récupèrerait sa fille dès son rendez-vous terminé.

Le bébé pâle et fatigué était allongé sur le canapé. J’avais vu une vieille photo de moi à cet âge prise à peu près au moment où ma mère quittait mon père : ce bébé et moi partagions ce même regard de malheur imminent. Nous étions piégés par une impuissance totale.

Mon amie me demanda de surveiller sa nièce pendant qu’elle allait aux toilettes pour se maquiller. Soudain seule avec la petite sans défense, j’ai senti le mal envahir ma conscience. Quel mot autre que “mal” devrais-je utiliser pour décrire ce que j’ai commencé à vivre à ce moment-là ? Jugez par vous-même. Je fus projetée dans un avenir immédiat aux images étonnamment vives. Dans cette

projection, mes mains serraient le cou de la petite et mes pouces appuyaient sur son encoche jugulaire.

Instinctivement, pour résister, je me tint fermement à une fraction de seconde derrière cette imagerie maudite, qui se mis alors à m’attaquer sans relâche et si violemment que le mal semblait venir de moi. Mon corps se figea. L’image des deux bâtons de randonnée qui m’avaient maintenue stable lors de ma randonnée de la veille vint à mon aide. Je plantai ces deux bâtons hors du mal aussi fermement que je l’avais fait la veille dans le sol de ma randonnée ardue.

J’aurais préféré mourir plutôt que de toucher à l’enfant. Par défi, je restais plantée dans la fraction de seconde qui existait entre l’imagerie vicieuse que me proposait le mal et l’observatrice de cette imagerie. Cette observatrice, c’était moi dans mes moments les plus introspectifs. C’était aussi quelqu’un dont la conscience s’inscrivait dans un espace beaucoup plus large. En ce nouvel intérieur, j’ai commencé à remonter – et non à avancer – dans le temps jusqu’à l’époque où j’avais à peu près l’âge de la nièce de ma meilleure amie, puis plus loin encore dans le temps, juste après ma conception, puis encore plus loin, mais là il faisait trop sombre pour que je puisse continuer mon mouvement dans le temps.

Dans cet espace mystérieux et faiblement éclairé, un vent froid m’aspira vers une scène épouvantable et étrangement immobile que je regardais d’environ deux mètres de distance. Je vis ma mère. Elle avait l’air plus jeune que je ne pouvais consciemment me souvenir d’elle en temps normal. C’était une très jolie femme qui serrait le cou d’un bébé. Ses pouces appuyaient sur l’encoche jugulaire.

Observer de cette façon le film de ma propre mère en train d’essayer de me tuer était infiniment plus troublant que faire l’expérience de deux morts imminentes !

Quelque chose n’allait pas du tout. Le comportement de la nièce de mon amie était également décalé : elle regardait juste au-dessus de mes yeux, pas directement vers moi. Je suivis son regard. La rencontre fut choquante. Une créature reptilienne de la taille du salon planait au-dessus de nous si près que je pouvais clairement voir ses yeux, qui me fixaient directement.

Ces yeux ressemblaient exactement aux yeux de ma mère : vicieux et vides de toute apparence de chaleur ou d’empathie quand elle voulait me tuer.

Je sentais la créature repoussante essayer de me repousser de mon propre corps. Elle me serrait tel un anaconda pour enlever ma conscience de son chemin afin que je confonde le mal avec moi-même. Cette créature maléfique voulait me

pousser à tuer la petite fille. Mais plutôt mourir ! Une envie soudaine d’exterminer l’impostrice s’empara de moi, ce qui la fit battre en retraite.

“Fous le camp !” Je criai, comme un tonnerre. “Fous le camp, ou je te tue, je te jure !”

Anticipant un coup mais ne sachant pas dans quelle direction, je levai instinctivement les épaules à la manière d’une tortue et serra mes bras contre mon torse pour protéger les parties les plus vitales de mon corps. Je commençai à élaborer une stratégie pour abattre au plus vite ce monstre intergénérationnel matrilinéaire, mais le regard de terreur absolue dans les yeux bruns de la bambine toujours allongé sur le dos sur le canapé beige me prit par surprise. Qui allait la protéger si je ne le faisais pas ?

Étendant mes bras en avant vers le dossier du canapé pour créer une tente humaine protectrice au-dessus de l’enfant minuscule, je me précipitai en avant pour la protéger avec mon propre corps. Dans ma précipitation, cependant, je renversai la lampe sur la table d’appoint près de l’accoudoir, qui s’écrasa bruyamment.

Mon amie accourut de la salle de bain. “Qu’est-ce qu’il arrive ?” demanda-t-elle, sans attendre la réponse et en se précipitant vers sa nièce, qui s’était mise à hurler. “Que s’est-il passé ?” répéta-t-elle, pressant sa nièce contre sa poitrine en lui roucoulant des mots doux tout en la berçant doucement.

Je répondis que j’avais trébuché en essayant d’attraper le biberon.

“Ça va, tous les deux ?” demanda mon amie en asseyant sa nièce sur ses genoux et en tapotant l’espace à côté d’elles pour que je m’y assoie.

“J’espère !” répondis-je en chuchotant.

La bambine, soudain silencieuse, me regardait en me fixant. Elle ne regardait plus légèrement au-dessus de moi.

« Le monstre est parti, alors ? demandai-je silencieusement, espérant que le bébé pourrait me répondre télépathiquement.

La petite me regarda d’un air inquisiteur pendant un moment, puis elle sourit timidement. Je voulais croire que le monstre était finalement parti.

Mon corps commença à trembler comme la fois où j’étais tombée par hasard sur une tanière de couguars lors d’une randonnée en solo dans l’arrière-pays autour d’Alpine. La puanteur de l’urine de gros chat et l’écorce lacérée des arbres avaient instantanément mis en relief la très forte probabilité de ma disparition imminente.

Je n’avais pas vu le couguar, mais cela ne voulait pas dire que le couguar n’était pas en train de m’observer.

J’ai commencé à pleurer des larmes de soulagement. Mon amie, cependant, était consterné. “Tu ne devrais pas pleurer le jour de ton anniversaire”, me dit-elle, plaçant la petite fille sur mes genoux. Peut-être espérait-elle que mes instincts maternels se déclencheraient et que j’oublierais d’être triste le jour de mon trentième anniversaire. La petite était, sur mes genoux, a la fois charnue et osseuse, fragile et pourtant aussi solide. Je ne savais que faire de ce poids physique et psychique placé là, sans mon consentement.

Mon amie, pensant que je m’étais blessée lorsque la lampe était tombée, a rapidement retiré l’enfant de mes genoux. Une fois assise sur les genoux de sa tante, l’enfant tendit timidement une main vers moi. Elle ressemblait tant à la victime de la très jolie femme qui serrait le cou de l’enfant en appuyant avec ses pouces sur l’encoche jugulaire. Elle me ressemblait tant quand j’avais son âge !

“Je t’aime, petit bébé !” je lui dit en chuchotant, d’une respiration était superficielle et laborieuse, “et je suis là pour toi, maintenant,” continuai-je, pleurant nerveusement en prenant sa petite main tendue vers moi.

Jamais ma mère ne m’avait jamais dit « je t’aime » dans ma langue maternelle. Les mots anglais, cependant, sortant de ma bouche, sonnaient juste et sûrs, bien qu’étrangers, alors je les ai répétés jusqu’à ce qu’un sourire s’épanouisse sur mes lèvres et sur celles de la toute petite.

Mon amie me dit que je ferai une bonne mère, un jour. Trébucher et casser une lampe de table assez près de sa nièce pour la blesser avait provoqué en moi une crise de panique, alors elle conclut que j’étais une bonne maman ours !

Plus tard dans la soirée, j’ai réfléchi à ma détermination inébranlable de tuer le monstre plutôt que le bébé vulnérable. Mon propre courage à ce moment surréel, semblait révéler à la fois ma véritable essence et la direction de mon avenir. En soufflant les trente bougies de mon gâteau d’anniversaire, je fis le vœu qui allait marquer le premier jour du reste de ma vie. J’ai juré de consacrer ma vie à couper les liens qui unissent le mal aux générations futures. Ces liens s’étendent au plus profond des parties inexplorées de nous-mêmes, donc c’est au moins le travail de toute une vie que de les couper, mais n’est-ce pas le seul travail qui vaut la peine d’être fait ?

Published in English in the Mothership — Talon Review Volume 2 issue 6.

Francais · Memoir

Sauvetages par Vengeance

This is a short memoir. In the original English version published with Tangled Locks Journal, I wrote that I was six years old when I became a victim of incest. In fact, I was not yet four.

Ceci est un court mémoire. Dans la version anglaise originale publiée chez Tangled Locks Journal, j’écrivais que j’avais six ans lorsque je fus victime d’inceste. En fait, je n’avais pas encore quatre ans.

L’inceste a une odeur particulière. La mienne, c’est celle d’un lapin écrasé. A l’âge de vingt ans, je pensais pouvoir oublier cette odeur si je déménageais en Amérique, mais non. Trente ans après mon exile, je revivais toujours la veille de mon quatrième anniversaire sur une petite route de montagne auvergnate qui se trouvait pourtant à des milliers de kilomètres des routes américaines et de la langue anglaise et de tous mes rêves de pouvoir enfin, une fois en Amérique, me libérer de ce traumatisme.

Sur les routes d’Amérique, je conduisais lentement, même lorsque les voitures klaxonnaient derrière moi. J’étais convaincue ne plus pouvoir vivre si, par malheur, j’écrasais un animal sauvage. Le bruit sourd des os écrasés sous les roues, la brutalité de cette douleur, l’odeur du sang mêlé de chair si je sortais pour voir si l’animal était encore vivant – parce que je le ferais, je m’arrêterais au cas où – me tueraient sûrement moi aussi, à petit feu.

Et pourtant, je ne voulais plus mourir à petit feu. À quelques mois de mon vingt-et-unième anniversaire, j’étais déjà à mi-chemin entre étudiante étrangère et immigrante, c’est-à-dire quelqu’un qui avait désormais une chance tangible de pouvoir s’inventer une nouvelle vie. Pendant vingt ans, j’avais réussi à ne pas mourir en France, et il fallait que je continue à réussir à ne pas mourir en Amérique. Pour cela, je devais vivre jusqu’au moment où je pourrais vivre sans revivre le destin qui, depuis la veille de mon quatrième anniversaire, m’avait liée au lapin sauvage mort de mort brutale cette nuit-là sur la route de montagne entre La Bourboule et La Tour d’Auvergne.

La veille de mon quatrième anniversaire, lorsque ce lapin avait traversé l’étroite route de montagne goudronnée entre La Bourboule et La Tour d’Auvergne, il n’avait d’autre endroit où se cacher que dans la décence de mon père, mais…

Les phares de sa nouvelle Citroën DS scindaient en son milieu une pinède épaisse et sombre. J’étais debout entre les sièges avant et la banquette arrière, et j’arquais mon cou vers l’avant pour mieux voir la vie sous des angles jamais vus auparavant.

Je vis le lapin au milieu de la route, paralysé dans le faisceau des phares.

J’ai crié pour alerter mon père, pour qu’il s’arrête.

Mais il a accéléré pour écraser le lapin, de façon délibérée.

Le bruit du meurtre résonna jusque dans mes propres os. Mes os, qui ne se tenaient plus droits dans la DS a la suspension si souple, furent également brisés.

“Pour ton déjeuner d’anniversaire,” dit mon père en reculant un peu la voiture, “un bon ragoût de lapin.”

Il descendit de la voiture et jeta le petit être ravagé dans le coffre. Son corps fit un bruit sourd à l’atterrissage. Et puis il y eu le bruit sec et violent du coffre que mon père referma.

La fiancée de mon père, assise devant à la droite de mon père, essuya le coin de mes lèvres avec son mouchoir en lin carré brodé main. Elle n’eut pas le temps de prévenir son futur mari, qui se rassit dans la mare de mon vomi.

« Pourquoi t’as fait ça ? » demanda-t-elle.

“C’est la petite,” répondit mon père, sèchement, “elle est trop sensible !”

Sa future femme lui rappela qu’il y avait une couverture de pique-nique dans le coffre. Il ressortit pour le récupérer. La couverture de laine, replète du sang du petit animal, ramassa la majeure partie de mon vomi.

“Ta future maman est un bijou de petite femme”, déclara mon père. “Ce mouchoir brodé main dont elle s’est servie pour te nettoyer la bouche était un cadeau de fiançailles. A cause de toi, elle va devoir le jeter, mais elle ne se plaint pas.”

Je savais que je devais dire oui, oui que j’avais de la chance de l’avoir pour ma nouvelle maman, bientôt. J’étais incapable de dire un mot, mais j’ai quand même hoché la tête pour bien montrer ma soumission dans la faible lumière de la cabine de la DS.

“Voilà, c’est bien”, me dit-il, serrant mes joues et mon menton dans l’étau de ses mains.

Ses mains, couvertes de sang, de chair et de fourrure, puaient l’inceste.

Ma mère n’a pas reconnu l’odeur quand elle m’a récupérée quelques jours après mon anniversaire, mais elle a hurlé en se tenant la bouche comme si j’étais devenue le fantôme qui vivait dans la maison derrière la ferme de ses parents. “Que s’est-il passé ?” demanda-t-elle. “Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?”

Je ne pouvais pas lui dire ce que mon père avait fait pendant la sieste quelques heures avant la mort brutale. Je ne pouvais pas parler du tout. Mon œil gauche ne pouvait plus regarder personne dans les yeux. Quelques semaines plus tard, l’ophtalmologue me demanda si j’avais souffert d’un quelconque traumatisme qui aurait pu causer mon estropie. Ses mots ne me disaient rien. Les enfants, ça ne comprend pas, et ma mère ne savait pas puisque, par décret du tribunal, j’étais obligée de passer la moitié des vacances scolaires avec lui et sans elle. J’ai regardé par terre.

Le chirurgien força mon œil gauche à regarder aussi droit que possible. La perte de vision inexpliquée dans cet œil fut aussi quelque peu arrêtée par des verres correcteurs.

L’odeur de sang mêlée de chair et de poils qui me rappelait de garder l’inceste secret m’a accompagnée à l’autre bout du monde. C’était cette odeur qui me faisait conduire lentement, même lorsque les voitures klaxonnaient derrière moi.

Je scrutais les bords des routes américaines à la recherche de signes de brutalité. Je les ai trouvés. C’est ainsi que j’ai commencé à sauver des petits êtres qui n’avaient aucune chance. Je me suis arrêtée pour des oisillons, des oiseaux écrasés par des voitures mais toujours vivants quand je les trouvais, des chatons orphelins, des chats incendiés, des chiens désespérés, des cerfs coincés dans des clôtures, des vaches et des ânes oubliés, et tant d’autres.

Ils étaient moi, aussi.

Parfois, je pouvais nous sauver. Parfois je ne pouvais pas. Parfois, il y avait des gens qui nous aidaient, mais parfois nous étions seuls.

Trois décennies de sauvetages occasionnels mais persistants se sont accumulés en une montagne de savoir-faire. Ces sauvetages de petits êtres sans défenses sont devenus ma grâce salvatrice.

L’heure sonna, enfin. Je pris l’enfant de quatre ans que j’étais sous mon aile d’adulte. Ensemble, on acheta un billet d’avion pour notre anniversaire, direction le

père.

On le coinça derrière le bloc de boucher de sa cuisine en lui disant qu’on se souvenait clairement de tout. Il a nié tout acte répréhensible.

Mais tous nos actes de sauvetage nous avaient appris que la plupart des agresseurs nieront leurs méfaits jusqu’à la mort. On traita le père de lâche en lui crachant à la figure. Il nous traita de folles, mais on avait l’habitude de ce genre de réaction de la part de ceux qui font du mal aux animaux. Nous avions appris à tenir bon. Il ne pouvait plus nous faire de mal. Il ne pouvait pas non plus nous dissuader de continuer à sauver ceux qui étaient laissés pour morts, y compris nous-mêmes.

Maintenant, on nourrit et on abreuve des lapins sauvages et leurs bébés. On les regarde boire et manger depuis la fenêtre de notre chambre, et on s’exprime véritablement, avec une détermination d’acier, et en gardant les yeux grands ouverts.

Published in English in Tangled Locks Journal on September 20, 2021

Fiction · Francais · Memoir

Le Jardin du Mépris

Cher père, 

Tu méprises ta propre fille, et ça me désole. Je te souhaite quand même santé et bonheur et un anniversaire merveilleux dans ton Jardin du Mépris pour moi !   Tu as énormément travaillé pour en faire un espace luxuriant, alors tu mérites de pouvoir d’en profiter ! 

Au fait, ta propriétaire m’a appelée hier alors que je faisais la queue pour acheter un timbre international pour poster ta carte de quatre-vingt-cinquième anniversaire. Son coup de fil m’a surprise car tu m’avais laissé croire que c’était toi qui détenais le titre de propriété. Mais elle m’a expliqué que les parcelles dans le Jardin du Mépris pour ses propres enfants ne peuvent que se louer à vie, pas s’acheter. Elle m’a également dit que tu avais contracté énormément de dettes sur ce terrain. C’est une somme énorme que je ne peux régler pour toi. Elle m’a assuré qu’après ta mort personne ne viendrait frapper à ma porte. Ça m’a soulagée car je ne suis pas responsable de cette dette que tu as contractée avec un terrain qui ne t’appartenait pas en contrepartie. Et puis elle a voulu savoir si je désirais t’acheter un cadeau d’adieu.  Je ne savais pas, et je lui ai dit que, de toute façon, tu n’avais jamais apprécié ce que j’avais à offrir, mais elle a coupé court à notre conversation. Elle était sur le point de rencontrer la nouvelle équipe de direction (elle vient de vendre son entreprise), mais avant de raccrocher, elle m’a fait promettre de me rendre jusqu’à l’entrée la plus proche du Jardin du Mépris et de demander à parler au Cerbère qui patrouille le périmètre de la parcelle que tu laboures depuis ma naissance. Elle m’a dit que ce n’était qu’à quelques minutes en voiture de chez moi. 

Là, j’ai commencé à douter.  Je me suis dit que la propriétaire était sûrement quelqu’un qui me faisait une farce. Pourtant, en un clin d’œil et sans que je me souvienne des routes que j’avais empruntées, j’étais face au portail d’entrée. Il y avait une énorme pancarte qui disait « Jardin du Mépris – Nouveaux Gérants ! » Je me suis rapprochée du portail en fer forgé et j’ai lu ce que disaient tous les petits signes. « Pas d’entrée ni de sortie sans paiement comptant. Remboursement obligatoire du montant total de vos dettes. Toute personne surprise en train de sauter la clôture sera électrocutée. »

Des milliers de parents allaient et venaient de façon frénétique. Ils parlaient l’américain et beaucoup d’autres langues, tout comme les gens ici à Los Angeles, mais ils avaient tous l’air affligé.  Il y avait aussi des taupinières un peu partout. Certains parents, à bout de souffle, sortaient la tête et hurlaient car le reste de leur corps était coincé dans les tunnels souterrains dont ils ne pouvaient plus s’extirper.  J’ai pensé que, puisque tu avais toujours craint de prendre l’avion, tu avais peut-être toi aussi creusé des milliers de kilomètres sous l’océan Atlantique et le continent nord-américain pour te rapprocher de moi.  Subitement terrorisée de faire un faux pas et de glisser en territoire hostile ou dans tes terrains de chasse français, je n’osai plus bouger. 

La concierge du Jardin du Mépris, qui ressemblait à ma mère, m’appela par mon prénom et commença à me parler en français, ce qui me ramena à la réalité. Je lui répétai, en anglais, ce que ta propriétaire m’avait dit. La concierge me demanda alors de la suivre dans son bureau, qui était minuscule mais fraîchement enduit à la chaux et qui ressemblait étrangement à l’appartement dans lequel j’avais grandi avec ma mère (cette garce). J’ai commencé à expliquer que tu essaierais de convaincre les nouveaux dirigeants d’annuler ta dette (ma mère était méprisable, moi aussi, ta nouvelle femme pourrait en témoigner, et tu avais bien payé la pension alimentaire établie par le tribunal), mais le Cerbère arriva avant que je puisse m’attarder sur tes compétences incomparables en matière de manipulation et sur tes antécédents d’évasion fiscale et de fausses déclarations de revenus.

« Alors, tu veux acheter un cadeau d’adieu à ton père ? » demanda le chien à trois têtes. Il me regardait à travers la fenêtre du bureau. J’ai compris qu’il devait rester dehors sinon son envergure aurait fendu les poutres du toit. Je suis donc sortie le voir. Il m’a expliqué que je pouvais acheter un gâteau d’anniversaire de fin de vie d’une valeur de 20 €.  Un billet de 20 $ ferait l’affaire puisque les euros et les dollars étaient maintenant presque à parité.  Il m’a rappelé que, 20 €, c’était le montant, converti d’anciens francs en euros et ajusté sur l’inflation, que tu avais versé en pension alimentaire chaque mois jusqu’à mon dix-huitième anniversaire alors que toi et ta nouvelle femme viviez dans une maison d’architecte neuve et imposante pour bien refléter ton statut social.

J’ai acheté un gâteau d’adieu et j’ai choisi une décoration de crème fouettée biologique. Le Cerbère vous accueillera en personne la prochaine fois que vous viendrez, ce qui devrait être bientôt. Quant à ta femme, qui pousse maintenant ton fauteuil roulant dans les allées du Jardin du Mépris, ne t’inquiète pas pour elle. Le Cerbère m’a assurée que le gâteau serait assez gros pour deux personnes.

Published in English by Literally Stories on April 28.

Announcement · English · Francais

New Feature: Versions Françaises

The VERSIONS FRANÇAISES tab was just added to my author’s website. Under that heading, you will find my French versions of the stories that I originally wrote and published in English.

French is my native language, but I now write primarily in English, a foreign language that I started learning in middle school. Again, many thanks to all my publishers! The time has now come, however, for my written creations to also exist in my native language, thus the need to create space for them on my website.

Over time, American English has acquired the texture of a native language in my daily life in California. Nevertheless, creating French versions of the stories I published in English is neither easy nor quick. Here is how I go about it. First, I run the English version through a free online translator. It does save me time because I get an instantaneous rough draft of that story in French. That rough draft, however, is far from being an accurate and publishable French version of my original story. It needs some steeping time, much like my tea. But it takes hours and days, not minutes, to steep the French rough draft. And it’s not like I can forget about it on my kitchen counter while it works its own magic. I must meddle, and that takes much time and effort!

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L’onglet VERSIONS FRANÇAISES vient d’être ajouté sur mon site d’auteure. Sous cette rubrique, vous trouverez mes versions françaises des histoires que j’ai initialement écrites et publiées en anglais.

Le français est ma langue maternelle, mais j’écris maintenant principalement en anglais, une langue étrangère que j’ai commencé à apprendre au collège. Encore un grand merci à tous mes éditeurs ! Le temps est cependant venu pour que mes créations écrites existent également dans ma langue maternelle, d’où la nécessité de leur créer un espace sur mon site Web.

Au fil du temps, l’anglais américain a acquis la texture d’une langue maternelle dans ma vie quotidienne en Californie. Néanmoins, créer des versions françaises des histoires que j’ai publiées en anglais n’est ni facile ni rapide. Voici comment je m’y prends. Tout d’abord, je me sers d’un outil de traduction en ligne gratuit. Cela me fait gagner du temps parce que j’obtiens un brouillon instantané en français. Ce brouillon, cependant, est loin d’être une version française exacte et publiable de mon histoire originale. Il a besoin d’un peu de temps d’infusion, un peu comme pour mon thé. Mais il faut laisser tremper le brouillon français des heures et des jours, pas de simples minutes. Et ce n’est pas comme si je pouvais l’oublier sur le comptoir de ma cuisine pendant qu’il opère seul sa propre magie. Je dois m’en mêler, et cela prend beaucoup de temps et d’efforts!